LOFT STORY 2001
  vérités, études, rumeurs et hypothèses


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Qui regarde "Loft Story" et pourquoi

date: 18 mai 2001
source: lemonde.fr

Quel est le regard des Français sur "Loft Story", la première émission française de "télé-réalité", programmée depuis trois semaines par la chaîne privée M6 ? Comment perçoivent-ils ce que les spécialistes des médias décrivent comme un séisme dans le paysage audiovisuel français ? Le succès d'audience rencontré par l'émission ne pouvait que susciter la curiosité : jeudi 10 mai, jour de l'éviction d'un premier participant masculin, 7,7 millions de spectateurs avaient regardé ce programme ; 50 000 personnes de plus ont assisté à l'élimination de la première concurrente, jeudi 17 mai, portant la part d'audience de M6 à 36 %, contre 31,8 % à TF1, 15,4 % à France 2 et 12,9 % à France 3. L'émission a entraîné un pic d'audience, à 22 h 45, juste après le départ de Kenza : 10,5 millions de personnes avaient alors les yeux braqués sur le Loft.

Au-delà de ces chiffres, Le Monde a voulu connaître la façon dont les Français regardent ce programme, qui a suscité une abondante polémique, notamment dans nos colonnes. Dans un sondage commandé à la Sofres, nous avons aussi cherché à savoir les raisons pour lesquelles les Français regardent "Loft Story" – sommes-nous devenus des voyeurs ? – et comment ils jugent les conditions de réalisation de cette émission.

Inspirée de "Big Brother", succès international mis au point par la société de production néerlandaise Endemol, l'émission diffusée par M6 jusqu'au début de l'été se révèle aussi efficace que ses homologues dans d'autres pays. Les résultats du sondage exclusif que nous publions aujourd'hui le montrent clairement : il n'y a, de ce point de vue, aucune exception française, et "Loft Story" ne dégage aucun parfum de scandale chez les personnes interrogées. Ces résultats apportent quelques autres surprises, notamment sur la façon dont cette émission est regardée dans les foyers : contrairement à toute attente, "Loft Story" apparaît comme un programme à caractère familial. Plébiscité par les jeunes, et cautionné par les parents.

Un phénomène que nul ne peut ignorer. Rarement émission de télévision aura été aussi médiatisée que "Loft Story". "Nous avons été surpris par l'audience de cette émission", reconnaît Didier Witkowski, directeur adjoint du département politique et sondages d'opinion à la Sofres. "Pour préparer cette enquête, nous avions posé quelques questions préalables. Il en ressort que 95 % des Français ont entendu parler de "Loft Story"". Avec 60 % de personnes qui l'ont déjà vue, ou qui la regardent régulièrement, cette émission atteint des records de notoriété.

Un public consensuel. Il n'y a pas de différence notable de comportement d'un sexe à l'autre, puisque 59 % des hommes et 61 % des femmes sont déjà entrés dans l'intimité de Loana, Philippe, Steevy et les autres. La géographie nuance un peu le tableau : la fréquentation du Loft est un peu plus importante dans la région parisienne (65 %) qu'ailleurs (59 %). L'appartenance politique introduit quelques différences : si les sympathisants de la droite (55%) se montrent un peu plus réservés que ceux de la gauche (62 %), les écologistes (69 %) sont les plus nombreux à admettre avoir regardé l'émission. Sociologiquement, ce sont les ouvriers (23 %) et les employés (21 %) qui se montrent les plus "accros", en suivant l'émission tous les jours, contre 12 % pour les cadres et professions intellectuelles, et 10 % chez les commerçants, artisans et industriels.

L'engouement des jeunes. Phénomène de génération, le succès de "Loft Story" est dû au plébiscite de ce programme par la jeunesse : 94 % des 15-24 ans ont déjà regardé l'émission, et 43 % d'entre eux la suivent "tous les jours ou presque" ; 27 % se branchent sur elle "une ou deux fois par semaine", et 23 % l'ont vue par simple curiosité. L'intérêt pour "Loft Story" va décroissant au fur et à mesure qu'on avance en âge : 78 % des 25-34 ans ont déjà regardé l'émission, proportion qui tombe à 61 % pour les 35-49 ans, et à 46 % pour les 50-64 ans. Au-delà de 65 ans, 50 % des personnes interrogées ont entendu parler de l'émission, mais ne l'ont pas regardée.

La cellule familiale concernée. C'est l'une des conclusions les plus surprenantes de ce sondage : le succès de "Loft Story" auprès des jeunes amène les parents à s'intéresser de très près à l'émission. Si 56 % seulement des personnes sans enfant l'ont déjà regardée, le taux passe à 67 % pour les parents, et à 74 % pour ceux dont la progéniture a entre 10 et 15 ans (69 % pour les parents d'enfants âgés de 15 ans et plus). C'est dans ces deux dernières catégories qu'on rencontre le plus d'adultes qui suivent "Loft Story" chaque jour (respectivement 20 % et 18 %). Au total, 55 % des parents regardent cette émission "en famille", dont 72 % pour ceux dont les enfants ont de 10 à 15 ans, et 68 % pour ceux dont les enfants ont 15 ans ou plus. Mais enfants et parents sont partagés sur le débat que suscite l'émission : 50 % des 15-24 ans et 19 % des 25-34 ans affirment en discuter avec leurs parents, mais 35 % seulement des parents admettent en parler avec leurs enfants. Peut-être sont-ils perturbés par cette intrusion imprévue dans la vie familiale. Les mères (40 %) sont en tout cas mieux disposées que les pères (28 %).

Un sujet qui alimente les discussions. Hors du cercle familial, parler de "Loft Story" semble devenu un sport national. Surtout chez les 15-24 ans, qui sont 85 % à discuter de l'émission avec leurs amis, contre 60 % pour les 25-34 ans, et 42 % pour les 35-49 ans (46 % en moyenne sur l'ensemble des catégories). Au travail, ce sont 30 % des personnes interrogées qui évoquent ce sujet avec leurs collègues, mais la proportion monte à 51 % chez ceux qui regardent l'émission tous les jours, et à 39 % pour ceux qui ont des enfants à la maison.

Pourquoi regarde-t-on ? Comme on pouvait s'y attendre, le voyeurisme n'est pas assumé comme raison principale de l'attrait de l'émission, bien que les plus jeunes se montrent plus disposés à le reconnaître : 21 % des 15-24 ans et 24 % des 25-34 ans admettent être poussés par "l'envie de voir". Motif véritable ou simple alibi, le désir de mieux connaître la façon dont vivent les jeunes est invoqué plus souvent par les personnes plus âgées : c'est le cas pour 40 % des 35 ans et plus, proportion qui grimpe à 52 % pour les 50-64 ans.

Les Français ne sont pas choqués. Ils ne se montrent pas choqués par les conditions de réalisation de l'émission, qui ont pourtant suscité, pour certaines, de fortes réactions. Finalement, c'est le fait que ces jeunes soient filmés en permanence qui émeut le plus, la question de la faible rémunération et la dureté du jeu – notamment la nécessité d'évincer régulièrement des candidats – n'attirant guère de protestations. Seules les femmes semblent plus sensibles à cet aspect de "Loft Story", 49 % d'entre elles étant opposées à l'idée de caméras braquées 24 heures sur 24 sur ces jeunes. Au total, les habitués de l'émission sont satisfaits, mais une majorité de spectateurs occasionnels – qui sont plus nombreux que les spectateurs réguliers – préféreraient voir l'émission s'arrêter. Compte tenu de l'audience, ce résultat n'est cependant pas de nature à remettre en cause la pérennité de l'émission.

Anne-Marie Rocco

http://www.lemonde.fr/societe/article/2001/05/18/qui-regarde-loft-story-et-pourquoi_186021_3224.html